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LA CHRONIQUE DE PIERRE MURAT – Le cirque est cinégénique. Et, du muet au musical, du burlesque au tragique, sait endosser tous les rôles. Sélection de quelques pépites alors que “Trapèze”, de Carol Reed ressort en DVD.
![Hecht-Lancaster Productions Tony Curtis, Gina Lollobrigida et Burt Lancaster dans « Trapèze », de Carol Reed.](https://focus.telerama.fr/2023/11/30/360/31/2412/2412/1200/0/60/0/4f11747_1701338025039-trapeze-1956-04.jpg/webp)
Tony Curtis, Gina Lollobrigida et Burt Lancaster dans « Trapèze », de Carol Reed. Hecht-Lancaster Productions
Publié le 02 décembre 2023 à 10h00
C‘est un movie assez uncommon, un grand succès de 1956, que vient d’exhumer Rimini Éditions en DVD. Produit par Burt Lancaster, acrobate à ses débuts, qui tenait absolument à honorer le monde du cirque. L’acteur a tenu, d’ailleurs, à effectuer lui-même quelques cascades.
Tout est excessif dans Trapèze. Les numéros de voltige. Les pavés toujours luisants des rues de Paris, reconstituées au studio de Billancourt (Carol Reed, le réalisateur, était fan d’expressionnisme : qu’on se souvienne du Troisième Homme). Les moues et les tenues de Gina Lollobrigida, qui tentait, à l’époque – et réussissait ! – à imposer la sensualité des brunes dans un pays censé n’aimer que les blondes : Marilyn Monroe, Kim Novak, Jayne Mansfield…
Dans le bonus édité par Rimini, Gérald Duchaussoy, le responsable de Cannes Classics, tente de faire de son personnage une femme d’aujourd’hui, freinée dans sa carrière par le machisme ambiant. Ce n’est pas tout à fait évident : Lola ferait plutôt partie de ces ambitieuses forcenées, prêtes à tout, comme Anne Baxter dans Ève, de Mankiewicz, pour arriver à leurs fins. C’est son complete manque de scrupules, son inébranlable foi en elle-même qui font, au demeurant, sa drive. Voire sa grandeur. Se croire, s’imaginer, ne fût-ce qu’un instantaneous, une victime des hommes serait, aux yeux de Lola, une inconvenance. Et même un non-sens. C’est une gagnante. Elle fonce droit devant elle, avec la certitude de l’emporter…
“Trapèze”, c’est l’histoire de deux hommes…
En revanche, avec une timidité extrême, comme s’il n’osait pas croire lui-même à ce qu’il dit, Gérald Duchaussoy évoque une autre piste : l’attirance secrète qui existe entre les deux héros, interprétés par Burt Lancaster et Tony Curtis. Est-ce pour cette thèse que Rimini a fait suivre son intervention d’un panneau assez comique : « Les factors de vue et opinions exprimés dans ce doc n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas les factors de vue et opinions de Metro Goldwyn Mayer Studio Inc., Park Circus Ltd, Rimini Éditions, de leurs filiales et de leurs employés » (!!!).
De fait, si l’on excepte l’habileté de la mise en scène de Carol Reed (ses plans-séquences sur les cimes des chapiteaux, son expertise à créer et faire croître le suspense au fur et à mesure de numéros de plus en plus extravagants), Trapèze n’est intéressant, aujourd’hui, qu’à situation d’emprunter la voie évoquée par Gérald Duchaussoy : l’histoire de deux hommes dont l’un reprend vie grâce à l’autre…
Mike Ribble (Burt Lancaster) a été la star mondiale des voltigeurs. Victime d’une chute, il sert, désormais, de machiniste dans le grand cirque Bouglione, rue Amelot, à Paris. C’est un quadragénaire qui noie vaguement dans l’alcool son amertume et le départ de sa compagne. Dès qu’il voit surgir le jeune, beau et fringant Tino Orsini (Tony Curtis), il est fasciné. Par son expertise de trapéziste, s’entend : c’est le seul, répète-t-il à ceux qui veulent l’entendre, qui réussira le triple saut périlleux qui a causé, quelques années auparavant, son infirmité.
… et d’un lien obscur
Après quelques hésitations (model « non, je ne céderai pas à l’attrait professionnel que je ressens »), il prend en essential le jeune homme, le fait s’exercer, lui enseigne ce qu’il sait, apprend de lui ce qu’il ignore. C’est une éducation à l’ancienne qu’il entame, physique et mentale, à la manière dont les maîtres, jadis, formaient leurs disciples. Se noue, entre eux, un lien d’autant plus intense qu’il est inexprimé, inconscient et, donc, inabouti.
C’est ce lien qui rend le movie passionnant. D’autant que tous s’ingénient à nous faire croire qu’il n’existe pas. Les scénaristes (James R. Webb et Liam O’Brien) font semblant de ne pas se rendre compte de ce qu’ils écrivent. Carol Reed fait mine de ne pas savoir ce qu’il filme. Le personnage de Gina Lollobrigida paraît ne pas comprendre pourquoi les deux hommes qu’elle aguiche successivement et qu’elle croit, à chaque fois, faire tomber dans ses rets finissent toujours par fuir. Les deux hommes eux-mêmes prétendent ignorer pourquoi ils ne peuvent se défaire l’un de l’autre, même lors d’une bagarre qui ressemble à une étreinte…
Bref, Trapèze est un grand movie crypto-gay. Tout juste « crypto », d’ailleurs…
Voici quelques autres movies où le cirque est roi.
À l’américaine…
“Sous le plus grand chapiteau du monde”, de Cecil B. DeMille (1952)
![Paramount Charlton Heston et James Stewart dans « Sous le plus grand chapiteau du monde », de Cecil B. DeMille.](https://focus.telerama.fr/2023/11/30/167/0/4044/2696/1200/0/60/0/a886eb3_1701344029647-sous-le-plus-grand-chapiteau-du-monde-1952-08.jpg/webp)
Charlton Heston et James Stewart dans « Sous le plus grand chapiteau du monde », de Cecil B. DeMille. Paramount
On se moque souvent, de nos jours, de ce cinéaste aux budgets grandioses et aux univers démesurés, que le scénariste Henri Jeanson surnommait, à juste titre, Cecil B(illet) DeMille… Comme bien de ses movies, celui-là a un peu vieilli, certes, mais il reste rudement efficace. Avec ses multiples chapiteaux, que la caméra saisit avec adresse. Avec ses rivalités sentimentales et professionnelles entre Charlton Heston, Betty Hutton, Cornel Wilde et Gloria Grahame. Avec la présence de « méchants » qui provoquent une gigantesque collision entre deux trains (et qui marquera à vie le jeune Steven Spielberg, comme il le raconte dans The Fabelmans). Avec la silhouette de James Stewart, qui, sous son maquillage de clown qu’il ne quitte jamais, interprète un médecin recherché par le FBI (!!!) pour avoir aidé sa femme à mourir. Tout ça reste divertissant au attainable…
À la soviétique…
“Le Cirque”, de Grigori Alexandrov (1936)
![Mosfilm Lioubov Orlova dans « Le Cirque », de Grigori Alexandrov.](https://focus.telerama.fr/2023/11/30/0/0/2570/1713/1200/0/60/0/322a8f6_1701344840347-le-cirque2.jpg/webp)
Lioubov Orlova dans « Le Cirque », de Grigori Alexandrov. Mosfilm
Il avait du expertise pour les comédies musicales à l’américaine, dont Staline raffolait. Pour lui plaire – et pour protéger sa vie privée –, le cinéaste aligne des triomphes : Joyeux Garçons (1934), Volga Volga (1938 – avec le tango Cœur, qui fait le tour de la Russie). Et ce Cirque, où il essaie, en useless, souvent, mais pas toujours – le fabuleux numéro musical de la femme-canon, intitulé Vol pour la lune –, de rivaliser avec Busby Berkeley, le grand chorégraphe hollywoodien. Sous le rythme, la fantaisie, l’enthousiasme et les chansons (Immense est le pays où je vis deviendra l’indicatif de Radio Moscou jusqu’en 1991 !), le scénario vaut son pesant de propagande : Marion Dixon (Lioubov Orlova), la grande du show-biz de Broadway, est chassée du pays parce qu’elle a accouché d’un enfant noir. Ce sera pareil en Union soviétique, pense-t-elle. Alors, ce bébé, elle le cache… Mais non ! Lorsqu’ils le découvrent, tous les membres de la troupe, extasiés, lui murmurent une berceuse dans leur langue maternelle : en russe, bien sûr, mais aussi en ukrainien, géorgien, tatar, yiddish… Ce dernier couplet aura une existence variable, en fonction de l’antisémitisme ambiant. On le supprimera au début des années 1950, on le réintégrera après la mort du « petit père des peuples » …
À la française…
“Yoyo”, de Pierre Étaix (1964)
![CAPAC Pierre Etaix et Luce Klein dans « Yoyo », de Pierre Etaix.](https://focus.telerama.fr/2023/11/30/81/11/4124/2749/1200/0/60/0/ca75c8a_1701345194413-yoyo-1965-04.jpg/webp)
Pierre Etaix et Luce Klein dans « Yoyo », de Pierre Etaix. CAPAC
Chez Pierre Étaix, le cirque est modeste, omniprésent et salvateur. La première fois (nous sommes en 1928, le cinéma est encore muet, les personnages du movie ne parlent, donc, pas !), le cirque sauve un riche aristocrate qui s’ennuie ferme dans son château. Ruiné par la Grande Dépression, il s’en va sur les routes avec l’écuyère de ses rêves… Des années plus tard, son fils, le clown Yoyo, devenu mondialement célèbre, s’égare lui aussi dans une fausse gloire et un projet inutile. Le cirque est là, à nouveau, pour son salut : avec la femme de sa vie, Yoyo finit par retrouver tout ce qu’il avait laissé échapper : les joies de la piste et la fraternité des gens du voyage…
À l’italienne…
“Les Clowns”, de Federico Fellini (1970)
![RAI / ORTF « Les Clowns », de Federico Fellini.](https://focus.telerama.fr/2023/11/30/212/28/4134/2756/1200/0/60/0/4984b2f_1701345617519-clowns-1971-01.jpg/webp)
« Les Clowns », de Federico Fellini. RAI / ORTF
Un petit garçon, réveillé par des bruits bizarres, se colle à la fenêtre de sa chambre et voit, tout près, gonfler lentement l’immense chapiteau d’un cirque. Il s’y présente le lendemain et devant tant de beauté, mais aussi de violence (des clowns se tapent dessus, des lanceurs de couteaux manquent, à chaque fois, de tuer leurs partenaires), il quitte la représentation, épouvanté… Des années plus tard, à la tête d’une équipe télé de bras cassés, Federico Fellini entame un documentaire sur le cirque. À la recherche d’un monde qu’il sait perdu et de ses quelques survivants fantomatiques, à la fois touchants et ridicules. Les Clowns n’est, donc, pas un movie tendre – mis à half le beau plan sur le visage juvénile de Josephine Chaplin, la fille de « Charlot ». Ni vraiment émouvant – si ce n’est le bref épisode où l’on voit un très vieux comique s’échapper de son hôpital pour s’en aller mourir sur les gradins d’un cirque. Le reste du temps, le cinéaste chorégraphie une farandole absurde avec la même ironie mordante que dans 8 1 /2. Et, comme il le fera dans Amarcord, il filme des trognes superbes, où artistes et silhouettes de sa vie se mêlent. Pour lui, la vie est un cirque. Les clowns, c’est nous…
q Trapèze, de Carol Reed (1956). Rimini Éditions, 1 combo DVD/Blu-ray, 24,99 €.
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